TRIBUNE DES GENERAUX : A la fausse indignation, préférons la mesure et la raison

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C’est sans doute un luxe, voire une décadence des démocraties avancées que de s’offrir des tragédies imaginaires, des indignations factices et des polémiques vides de sens. Le tintamarre provoqué par la « tribune des généraux » en est l’illustration. Je ne prends pas la plume pour les soutenir, approuver leurs positions ni dire la justesse de leurs craintes. J’entends simplement leur rendre justice et dénoncer le procès en sorcellerie qu’on leur intente pour avoir dit ce qu’ils n’ont pas dit et formulé des menaces qu’ils n’ont jamais brandies. Car il n’y a dans leur propos ni appel à l’insurrection, ni annonce de putsch, ni rêve de pronunciamento.

On parle de bruit de bottes, on oppose l’armée aux valeurs démocratiques, mais on prend soin d’ignorer l’hommage rendu « à ceux qui, quelles que soient leurs couleurs de peau, ont servi la France ». Quel humaniste s’indignera de cet universalisme de la citoyenneté puisé dans le service du pays ?

On les dit racistes et fascisants sans s’arrêter à leur affirmation que « chaque Français, quelle que soit sa croyance ou sa non-croyance, est partout chez lui dans l’Hexagone ». Cette absence de distinction selon les races ou les religions est un propos républicain dont il faut leur donner acte.

On peut, certes, ne pas partager leur vision pessimiste de l’avenir. Mais ils sont loin d’être les seuls à dénoncer « des hordes de banlieue » et « des territoires soumis à des dogmes contraires à notre constitution ». C’est un ministre de la majorité présidentielle qui, il y a peu, disait publiquement sa crainte qu’on passe d’une cohabitation côte à côte à un positionnement face à face.

Admettons un instant qu’ils s’exagèrent la menace, mais accordons-leur qu’ils ne parlent de guerre civile que comme d’un malheur qui pourrait nous échoir et non comme d’une fracture qu’ils appelleraient de leurs vœux.

Ils soulignent seulement que, lorsque les grands affrontements surviennent, c’est à eux que l’État fait appel. Ils mettent en garde contre une explosion sociale qui ne laisserait à l’État républicain d’autre recours que « l’intervention de leurs camarades d’active » qu’on enverrait se battre et mourir pour sauvegarder les valeurs de notre civilisation. Loin d’appeler à cette apocalypse, ils enjoignent aux politiques d’agir pour qu’elle n’advienne pas.

Ils disent aussi leur détestation de l’islamisme politique comme des black blocs. Sont-ils les seuls ? Ils ont du mal à admettre les théories décoloniales et la soudaine haine qui frappe les héros d’hier qui sont leurs grands anciens. Peut-on leur tenir rigueur d’un étonnement devant cette brutale inversion des valeurs et les excès auxquels elle conduit ?

D’ailleurs, peu importe leur préférence pour l’ordre, leurs affinités avec les conquérants du passé et la peur qui les étreint qu’on voue bientôt aux gémonies l’idée de la patrie. Je ne veux pas entrer, je l’ai dit, dans ces polémiques et moins encore dans une quelconque récupération politicienne.

Ma seule intention est que s’élève une voix pour dire et combattre l’injustice ; ma seule pensée est qu’on les lise avec sincérité, qu’on ne leur fasse pas un procès inique et qu’on se souvienne que, comme ils le rappellent, ils savent le moment venu tout donner pour la France.
Jean-Yves LE BORGNE
Le Figaro
Ancien vice-bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris.
Auteur de « Changer la justice » (PUF, 2017)
 
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